On a souvent parlé de Glatigny ; qu’il me soit permis, à mon tour, de publier quelques notes rapides sur ce charmant poète, dont j’étais l’intime et qui vient de servir de sujet de pièce.
N’ayant aucun moyen d’existence, sans autres provisions que des vers aussi jolis que peu nutritifs, malgré cela, voulant demeurer à Paris, ce tremplin nécessaire à ceux que l’art a touchés de sa baguette magique, Glatigny avait accepté, avec empressement, en 1858, peu après son arrivée de Normandie, d’entrer au théâtre Montparnasse en qualité de cabotin et de deuxième régisseur et il se montrait content de cette haute position provisoire qui lui assurait cinquante francs par mois, persuadé que l’avenir lui appartenait.
D’ailleurs, il aimait les planches où sa fantaisie outrancière et naïve était à l’aise ; les exemples de Shakespeare, de Molière, l’exaltaient, et il ne concevait pas de sort plus enviable que celui d’auteur-acteur.
Le seul inconvénient qu’il trouvât à la profession de « m’as-tu-vu », c’était d’être obligé d’apprendre par cœur la prose de Pixérécourt, de Bouchardy, d’Anicet Bourgeois, de d’Ennery ; aussi, par gaminerie, remplaçait-il souvent le texte de ses rôles par des tirades de son cru.
Il me souvient qu’une fois, jouant avec des variantes un père noble, en un mélo noir, et le premier sujet, furieux, s’étant emporté jusqu’à lui répliquer distinctement, de manière que tout le public l’entendit « Ça n’est pas ça », il répondit, sans se démonter « Comment, monsieur, vous ne me connaissez point, vous me demandez qui je suis, je vous raconte mon histoire, et vous me dites : ça n’est pas ça ! »
Interloqué, le premier sujet ne sut que balbutier, et Glatigny acheva sérieusement la pantalonnade entamée.
J’ajoute qu’il s’abstenait d’une semblable désinvolture à l’égard des œuvres littéraires.
Il n’était pas appelé à éclipser Frederick Lemaitre ; néanmoins il eût convenablement tenu un emploi secondaire sans l’excentricité de son allure de Don Quichotte.
De taille élevée - il avait un mètre quatre vingt-six, - imberbe, mince, portant sur un cou maigre une tête d’enfant, aux cheveux bruns plats, d’une douceur singulière, qu’illuminaient des yeux remplis d’enthousiasme, ne sachant que faire de ses bras, de ses mains, affligé de pieds énormes, il était mal constitué pour exercer le métier de protée scénique.
Quoiqu’il logeât en un garni de barrière et dinât, d’ordinaire, à la Californie ou chez Richefeu, d’une portion de ragoût ou d’un hareng grillé de deux sous, d’une livre de pain et d’un demi-setier, ses cinquante francs par mois ne lui permettaient guère de renouveler sa garde-robe que de charitables personnes entretenaient, l’hiver, avec de vieilles nippes d’été, l’été avec de vieilles nippes d’hiver, ni d’acheter régulièrement du tabac. Dans ce dernier cas, privé de sa pipe qui contribuait à soutenir sa bonne humeur, il était si désorienté, que s’il eût eu un droit d’aînesse à vendre, il se serait certainement empressé de le céder pour un paquet de caporal.
Quand la troupe à laquelle il appartenait était affichée à Sèvres, il se risquait à aller manger à la soupe chez Banville, à Bellevue et comme il manquait invariablement de l’argent nécessaire au paiement de sa place en chemin de fer, gaiement il se mettait en route par Malakoff et Clamart, en grommelant « J’ai de grandes jambes ».
A Bellevue, où s’étaient réfugié autour de l’établissement hydrothérapique, quantité d’hommes de lettres, d’artistes, il passait une après-midi dorée.
A l’heure du spectacle, il gagnait le théâtre impérial de Sèvres, et y jouait, en présence des aréopagistes qu’il venait de quitter, descendus de leurs ermitages et massés en une loge contenant, à côté de Banville, Molin le dernier des chicards, et Gondinet qui, à cette époque, employé des Finances, entassait manuscrit sur manuscrit et ne parvenait point à attendrir le moindre directeur parisien.
Glatigny nourrissait une affection filiale pour Banville à qui il devait d’avoir été lancé, en un clin d’œil, dans le monde littéraire de Paris, et dont la valeur, faite surtout de forme impeccable, le séduisait.
Albert Glatigny – Pages de la Vie de bohème
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