Berthe Weill publie aujourd’hui ses mémoires. Quand on m’a proposé d’écrire quelques lignes en guise de préface, j’ai voulu aller voir Berthe Weill, que je ne connaissais que par sa renommée.
Je me suis donc rendue 46, rue Laffitte, dans la galerie où elle présente à la fois au public des livres choisis avec goût – livres d’art ou simple nouveautés de librairies – et des expositions fréquemment renouvelées.
Faute de connaître Berthe Weill, je cherchais à l’imaginer.
Elle qui avait lutté si longtemps, elle devait avoir des cheveux un peu grisonnants. D’accord. Elle qui avait lutté si durement, elle devait être bâtie pour les conflits de l’existence. Ce devait être une sorte de géante robuste, roulant les épaules, serrant les poings au bout de bras courbes comme des anses aussi que le sont les bras des lutteurs. J’imaginais sur une stature athlétique, bâtie pour prendre corps à corps les difficultés et les précipiter à terre, j’imaginais une belle figure osseuse de conquérante, avec de grands yeux clairs où paraîtraient les lueurs de l’inspiration. Force et foi, tels étaient les deux éléments dont je formais ma prophétie plastique.
J’entre. On va prévenir Mlle Berthe Weill.
La voici.
C’est – comme on chantait avant la guerre – « c’est une toute petite bonne femme pas plus haute que ça ». Mais petite, petite… Des faibles épaules tombantes, un corps grêle auquel collent de petits bras, une démarche trotinnante de souris, une figure calme, modeste, à bandeaux gris, cachée par une énorme paire de lunettes.
Quoi ! C’est là cette pourfendeuse héroïque du dragon de la banalité ? Quoi ! Voici la magnifique lutteuse qui, toute sa vie, a combattu pour la beauté et pour la noblesse de l’art français ?
Mlle Berthe Weill, statuette d’étagère, ne fait pas un geste, ne dit pas un mot. Mais, par les deux disques des lunettes géantes, je vois ses yeux clairs qui me regardent avec fixité, cette fixité sans doute qu’elle avait lorsqu’elle devinait, en présence d’une œuvre, l’âme et l’avenir de celui qui en était l’auteur.
Un mot gentil la fait sourire, d’un bon sourire franc. Les petits bras se décollent, non sans hésitation, comme les ailes d’un minuscule insecte qui sort de sa chrysalide. Un enthousiasme que nous partageons fait tout à coup briller une flamme dans ce petit visage. L’expression d’une animosité esthétique qui nous est commune stimule en Mlle Weill un mouvement d’indignation, d’ailleurs joyeuse. Et voilà, un bon rire d’artiste comme on en a, dans les ateliers, après une séance de travail, ou comme on en a à la campagne, entre copains, pour se détendre d’une journée passée devant un chevalet de paysagiste. Bien mieux ! Elle s’est transformée pleinement, cette Berthe Weill aux maigres épaules, à la marche menue, à la figure fermée. Elle est pleine de fougue, d’élan, de vitalité. Elle s’exalte. Elle explose. La taupinière est devenue volcan.
Puis tout rentre en ordre. Les petits bras reviennent à leur place. Les yeux semblent s’inquiéter, derrière les grosses lunettes rondes, d’avoir livré à l’inconnu que je suis tant de fougue.
Pourtant, une détente efface de mon souvenir la Berthe Weill mystérieuse, glaciale et monacale du premier moment. La sympathie est née entre nous. Et je sens bien, maintenant, quelle a pu être la vie de cette âme héroïque et simple, droite et lumineuse comme une male de poignard. Je sens bien l’absence de tout esprit de lucre en ce cœur loyal, cette générosité amicale, cette cordialité chaleureuse, ce « bon-garçonnisme » qui fait de Berthe Weill l’amie de tout ceux qu’elle a connus à leurs débuts, dont elle a favorisé la carrière. Ils sont devenus glorieux sans se brouiller avec elle. Ils n’ont pas oublié ses encouragements, et les prêts qu’elle faisait, alors que son porte-monnaie était vide par la générosité.
(…)
Le manuscrit de Berthe Weill est, lui aussi, le tableau exact, minutieux, impitoyable, généreux, jovial et parfois tragique, de ce que fut l’existence de cette muse minuscule à l’inspiration de laquelle tant de peintres ont dû de prendre confiance en eux, de persévérer et de réussir.
Paul Reboux - Extrait de la préface des mémoires de Berthe Weill, Pan ! dans l’œil… - 1933
Quand des recherches préalables ont été entamées en 2008, aucun ouvrage ne lui avaitencore été consacrée. Quelques rapides articles brossaient des portraits plus ou moinsjustes en se limitant systématiquement à un seul aspect de sa personnalité mais aucun travail d’envergure n’avait encore creusé les différentes problématiques composant ce personnage complexe.Une première biographie consacrée à la galeriste est parue en novembre 2011, par Marianne Le Morvan sous le titre Berthe Weill (1865-1951) La petite galeriste des grands artistes, disponible ici.
Le site Internet : Berthe Weill - La petite galeriste des grands artistes
Berthe Weill publie ses mémoires ! 1933
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