Bouis-Bouis, bastringues et caboulots de Paris – Le Casino – 1861
En voici, pour le coup, un beau bastringue !
Toutes les séductions imaginables s’y sont donné rendez-vous. Tous les arts ont été invités à le décorer, sous l’inspiration de Charles Duval, un de ces architectes comme on n’en fait plus. La baguette magique de Daudé, l’organisateur des fêtes du Jardin d’hiver, y a enfanté tout un monde d’agréments variés. Il y en a pour tous les sens et pour tous les goûts.
Malheureusement, ce bal ne se recommande pas seulement par sa décoration et par l’orchestre d’Arban. Il est aussi fort connu par ses danseuses.
Encore Rigolboche
C’est une succursale de Mlle Rigolboche.
Chapeau bas et saluez jusqu’à terre, messieurs les amateurs !
Quand j’ai dit succursale, j’ai peut-être eu tort. Les Délass.-com. sont un étalage plus complet de ses charmes, mais au Casino se traitent les affaires sérieuses. C’est la bourse de la célèbre ballerine et de ses imitatrices. Les femmes y ont des cours ni plus ni moins que les suifs et les cuirs en poil à la Bourse des négociants.
Donc, le Casino est un marché, marché immonde, si l’on veut, et qu’on ne saurait trop flétrir. Tant pis pour les propriétaires en général, et pour M. Pellagot en particulier ! En somme, c’est une drôle de boutique que ce bastringue cynique, ou l’on ne s’amuse pas, où l’on ne rit jamais, mais où l’on fait des affaires, tout comme dans une halle.
Les Plagiaires
Un caractère particulier aux ballerines du Casino, c’est qu’elles n’ont, pour tout esprit, que ce cynisme grossier des filles de la rue, que ce jargon de la prostituée, jargon mille fois plus immonde que le langage imagé des filous. Si demain leur bal cessait d’exister, rien ne serait changé dans leur existence : elles travailleraient au coin de la rue, et puis tout serait dit.
J’ajouterai, cependant, que le Casino présente quelques séductions : l’orchestre en est souvent fort remarquable ; Arban est un grand artiste, sans nul doute ; mais il est triste de voir son talent au service d’un si étrange public.
A côté de Rigolboche, l’étoile des étoiles, brillent au Casino quelques autres filles que la jalousie a rendues presque aussi fortes qu’elle, et qui ont également leur monde. Dans un ordre moins élevé, elles ont trouvé, non des vaudevillistes effrontés, poussant l’audace jusqu’à étaler leur vie en cinq actes sur un théâtre, maïs de petits faiseurs de chansonnettes ou de quadrilles, poëtes ou musiciens, sortis de la fange, parvenus de la sorte à faire parler d’eux... sans avoir besoin de se décrotter.
Passons la revue de ces dames !
Alice la Provençale, Rosalba, Finette, Alida, Nini, Pauline l’Arsouille, Souris
Voici d’abord Alice la Provençale, une des plus chantées, une des plus dansées, éprouvant la nécessité d’entretenir le public d’elle à tout bout de champ. Son portrait figure sur plusieurs éditions de quadrilles. Quelques poëtes de la Brasserie lui ont même dédié des sonnets.
C’est une danseuse énergique : elle rachète ce qui lui manque comme souplesse par une foule de gestes immondes et de manières qui ne seraient pas certes tolérés dans certaines maisons, où tout cependant est censé toléré.
Un petit livre, que j’ai sous les yeux et qui a fait grand bruit dans-ces derniers temps, m’apprend qu’elle a été exclue de Mabille et du Château des Fleurs, où néanmoins on ne manque pas de tolérance.
Eh bien ! depuis lors, Alice danse au Casino avec moins de retenue encore !... Aussi, pour être juste, faut-il convenir que cet établissement jouit d’un peu trop de liberté peut-être.