Extraits du « Dictionnaire infernal, ou Répertoire universel des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l’enfer, aux démons, aux sorciers, aux sciences occultes… » de Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy – 1844

Les Parisiens faisaient autrefois beaucoup de contes sur un fantôme imaginaire qu’ils appelaient le moine bourru ; il parcourait les rues pendant la nuit, tordait le cou à ceux qui mettaient la tête à la fenêtre, et faisait nombre de tours de passe-passe. Il paraît que c’était une espèce de lutin. Les bonnes et les nourrices épouvantaient les enfants de la menace du moine bourru. Croque-mitaine lui a succédé. Ces histoires, et bien d'autres, illustrent l'intérêt populaire pour les arts divinatoires et leurs caractéristiques, même à des époques reculées.

- Brioché (Jean) : Arracheur de dents qui, vers l’an 1650, se rendit fameux par son talent dans l’art de faire jouer les marionnettes. Après avoir amusé Paris et les provinces, il passa en Suisse, et s’arrêta à Soleure, où il donna une représentation en présence d’une assemblée nombreuse, qui ne se doutait pas de ce qu’elle allait voir, car les Suisses ne connaissaient pas les marionnettes. A peine eurent-ils aperçu Pantalon, le diable, le médecin, Polichinelle et leurs bizarres compagnons, qu’ils ouvrirent des yeux effrayés. De mémoire d’homme on n’avait point entendu parler dans le pays d’êtres aussi petits, aussi agiles et aussi babillards que ceux-là. Ils s’imaginèrent que ces petits hommes qui parlaient, dansaient, se battaient et se disputaient si bien, ne pouvaient être qu’une troupe de lutins aux ordres de Brioché. Cette idée se confirmant par les confidences que les spectateurs se faisaient entre eux, quelques-uns coururent chez le juge, et lui dénoncèrent le magicien. Le juge, épouvanté, ordonna à ses archers d’arrêter le sorcier, et l’obligea à comparaître devant lui. On garrotta Brioché, on l’amena devant les juges, qui voulurent voir les pièces du procès ; on apporta le théâtre et les démons de bois, auxquels on ne touchait qu’en frémissant ; et Brioché fut condamné à être brûlé avec son attirail. Cette sentence allait être exécutée, lorsque survint un nommé Dumont, capitaine des gardes suisses au service du roi de France ; curieux de voir ce magicien français, il reconnut le malheureux Brioché qui l’avait tant fait rire à Paris. Il se rendit en hâte chez le magistrat. Après avoir fait suspendre d’un jour l’arrêt, il lui expliqua l’affaire, lui fit comprendre le mécanisme des marionnettes, et obtint l’ordre de mettre Brioché en liberté. Ce dernier revint à Paris, se promettant bien de ne plus songer à faire rire les Suisses dans leur pays.

- César : Charlatan qui vivait à Paris sous Henri IV, astrologue, nécromancien, chiromancien, physicien, devin, faiseur de tours magiques ; il disait la bonne aventure par l’inspection des lignes de la main ; il guérissait en prononçant des paroles et par des attouchements. Il arrachait les dents sans douleur, vendait assez cher de petits joncs d’or émaillés de noir, comme talismans qui avaient des propriétés merveilleuses contre toutes les maladies. Il escamotait admirablement et faisait voir le diable avec ses cornes. Quant à sa dernière opération, il semble qu’il voulait punir les curieux d’y avoir cru ; car ils en revenaient toujours si bien rossés par les sujets de Belzébuth, que le magicien lui-même était obligé de leur avouer qu’il était fort imprudent de chercher à les connaître. Le bruit courut à Paris, en 1614, que l’enchanteur César et un autre sorcier de ses amis avaient été étranglés par le diable. On publia même, dans un petit imprimé, les détails de cette aventure infernale. Ce qu’il y a de certain, c’est que César cessa tout à coup de se montrer ; il n’était cependant point mort, il n’avait même pas quitté Paris. Mais il était devenu invisible, comme quelques autres que l’État se charge de loger.

- Chamouillard : Joueur d’aiguillette qui fut condamné, par arrêt du parlement de Paris, en 1597, à être pendu et brûlé, pour avoir maléficié une demoiselle de la Barrière.

- Chapelle du Damné : Raymond Diocres, chanoine de Notre-Dame de Paris, mourut en réputation de sainteté vers l’an 1084. Son corps ayant été porté dans le chœur de la cathédrale , il leva la tète hors du cercueil à ces mois de l’office des morts : responde mihi quantas habes iniquitates, etc... et dit : Justo judicio Dei accusatus sum (J’ai été cité devant le juste jugement de Dieu). Les assistants effrayés suspendirent le service et le remirent au lendemain. En attendant, le corps du chanoine fut déposé dans une chapelle de Notre-Dame, qu’on appelle depuis la Chapelle du Damné. Le lendemain , on recommença l’office, et lorsqu’on fut au même verset, le mort parla de nouveau, et dit : Justo Dei judicio judicatus sum (J’ai été jugé au juste jugement de Dieu). On remit encore l’office. Au jour suivant et au même verset, le mort s’écria : Justo Dei judicio condemnatus sum (J’ai été condamné au juste jugement de Dieu). Là-dessus, dit la chronique, on jeta le corps à la voirie ; et ce miracle fut cause, selon quelques-uns, de la retraite de saint Bruno qui s’y trouvait présent. Quoique cette anecdote soit contestée, elle est consacrée par des monuments. La peinture s !en est emparée, et Le Sueur en a tiré parti dans sa belle galerie de saint Bruno.

- Cire : C’est avec de la cire que les sorcières composaient les petites figures qu’elles faisaient fondre pour envoûter et faire périr ceux qu’elles avaient pour ennemis. On décapita a Paris en 1574, un gentilhomme chez qui l’on trouva une petite image de cire ayant la place du cœur percée d’un poignard.

- Corde de pendu : Les gens crédules prétendaient autrefois qu’avec de la corde de pendu on échappait à tous les dangers, et qu’on était heureux au jeu. On n’avait qu’à se serrer les tempes avec une corde de pendu pour se guérir de la migraine. On portait un morceau de cette corde dans sa poche pour se garantir du mal de dents. Enfin, on se sert de cette expression proverbiale, avoir de la corde de pendu, pour indiquer un bonheur constant, et les Anglais du menu peuple courent encore après la corde de pendu.

- Cour Infernale : Wierus et d’autres démonomanes, versés dans l’intime connaissance des enfers, ont découvert qu’il y avait là des princes, des nobles, des officiers, etc. Ils ont même compté le nombre des démons, et distingué leurs emplois, leurs dignités et leur puissance. Suivant ce qu’ils ont écrit, Satan n’est plus le souverain de l’enfer ; Belzébuth règne à sa place.
Voici l’état actuel du gouvernement infernal :
Princes et grands dignitaires : Belzébuth, chef suprême de l’empire infernal, fondateur de l’ordre de la Mouche. Satan, chef du parti de l’opposition. Enrynome, prince de la mort, grand croix de l’ordre de la Mouche. Moloch, prince du pays des larmes, grand croix de l’ordre. Pluton, prince du feu. Léonard, grand-maître des Sabbats, chevalier de la Mouche. Baalberith, maître des alliances. Proserpine, archidiablesse, souveraine princesse des esprits malins.
Ministères : Adrameleck , grand-chancelier, grand’croix de l’ordre de la Mouche. Astaroth, grand trésorier. Nergal, chef de la police secrète. Baal, général en chef des armées infernales, grand’croix de l’ordre de la Mouche. Léviathan, grand-amiral, chevalier de la Mouche.
Ambassadeurs : Belphégor, ambassadeur en France. Mammon, ambassadeur en Angleterre. Belial, ambassadeur en Turquie. Bimmon , ambassadeur en Russie. Thamuz, ambassadeur en Espagne. Hutgin, ambassadeur en Italie. Martinet, ambassadeur en Suisse.
Justice : Lucifer, grand-justicier. Alaslor, exécuteur des hautes œuvres.
Maison des princes : Verdelet, maître des cérémonies. Succor Benoth , chef des eunuques. Chamos, grand-chambellan, chevalier de la Mouche. Melchom, trésorier payeur. Nisroth, chef de la cuisine. Béhemolh, grand-échanson. Dagon , grand-panetier. Mullî’n, premier valet de chambre.
Menus-plaisirs : Kobal, directeur des spectacles. Asmodée, surintendant des maisons de jeu. Nibbas, grand-paradiste. Antéchrist, escamoteur et nécromancien. Boguet l’appelle le singe de Dieu. On voit que les démonomanes se montrent assez gracieux envers les habitants du noir séjour. Dieu Veuille qu’après tant de rêveries ils n’aient pas mérité d’aller leur tenir compagnie ! M. Berbiguier a écrit en 1824, après avoir transcrit cette liste des Princes de la cour infernale : « Cette cour a aussi ses représentants sur la terre : Moreau, magicien et sorcier à Paris, représentant de Belzébulh. — Pinel père, médecin à la Salpétrière, représentant de Satan. — Bonnel, employé à Versailles, représentant d’Eurynome, — Bouge, associé de Ixiclilas, représentant de Plulon. — Nicolas, médecin à Avignon, représentant de Moloch. Baptiste Prieur, de Moulins, représentant de Pan. — Prieur aîné, son frère , marchand droguiste, représentant de Lilith. — Etienne Prieur, de Moulins, représentant de Léonard. — Papon-Lominy, cousin des Prieur, représentant de Baalberith. — Jeannelon Lavaletle, la Mansolte et la Vaudeval, représentant l’archidiablesse Proserpine, qui a voulu mettre trois diablesses à mes trousses, etc. »

- Desrues : Empoisonneur, rompu et brulé à Paris, en 1777, à l’âge de trente-deux ans. Il avait été exécuté depuis quinze jours, lorsque tout à coup le bruit se répandit qu’il venait toutes les nuits sur la place de Grève. On voyait un homme en robe de chambre, tenant un crucifix à la main, se promenant lentement autour de l’espace qu’avaient occupé son échafaud et son bûcher, et s’écriant d’une voix lugubre : « J e viens chercher ma chair et mes os ». Quelques nuits se passèrent ainsi, sans que personne osât s’approcher d’assez près pour savoir quel pouvait être l’auteur de cette farce un peu sombre. Plusieurs soldats de patrouille et de garde en avaient été épouvantés ; mais enfin la terreur cessa ; un intrépide eut le courage de s’avancer sur la place ; il empoigna le spectre et le conduisit au corps-de-garde, où l’on reconnut que ce revenant était le frère de Desrues, riche aubergiste de Senlis, qui était devenu fou de désespoir.

- Desvignes : parisienne qui avait, au commencement du dix-septième siècle, des attaques de nerfs dont elle voulut tirer parti pour se faire une ressource. Les uns la disaient sorcière ou possédée, les autres la croyaient prophétesse. Le père Lebrun, qui parle d’elle dans son Histoire des superstitions, reconnut comme les médecins qu’il y avait dans son fait une grande fourberie. Le bruit qu’elle avait fait tomba subitement.

- Ensorcellement : Bien des gens se sont crus ensorcelés, qui n’étaient que le jouet de quelque hallucination. On lisait ce fait dans le Journal des Débats du 5 mars 1841 : « Il y a trois jours, M. Jacques Coquelin, demeurant rue du Marché Saint-Jean, n° 21, à Paris logé au troisième étage, rentrait chez lui vers onze heures du soir, la tête échauffée par le vin. Arrivé sur le palier du deuxième étage, il se croit dans son domicile ; il se déshabille tranquillement, jette une à une ses bardes par une large fenêtre donnant sur la cour et que dans son ivresse il prend pour son alcôve ; puis il se fait un bonnet, de nuit avec sa cravate, et n’ayant plus que sa chemise sur le corps, il se lance lui-même par la fenêtre croyant se jeter sur son lit. Ce ne fut que le lendemain, vers six heures du malin , que les autres habitants de la maison s’aperçurent de ce malheureux événement. Le corps de l’infortuné Coquelin était étendu sans mouvement sur les dalles de la cour. Pourtant cet homme, âgé seulement de vingt-sept ans, et doué d’une grande force physique, n’était pas mort, quoique son corps fût horriblement mutilé. Transporté chez lui, il vécut deux jours encore ; mais son étal était désespéré et il expira après soixante heures des plus cruelles souffrances. » Dans d’autres temps ou dans d’autres pays, on eût vu là un ensorcellement.

- Feux de la Saint Jean  : A Paris, autrefois, on jetait deux douzaines de petits chats (emblèmes du diable sans doute) dans le feu de la Saint-Jean, parce qu’on était persuadé que les sorciers faisaient leur grand sabbat cette nuit-là. On disait aussi que la nuit de la Saint Jean était la plus propre aux maléfices, et qu’il fallait recueillir toutes les herbes dont on avait besoin pour les sortilèges.

- Gobelins : Espèce de lutins domestiques qui se retirent dans les endroits cachés de la maison, sous des las de bois. On les nourrit des mets les plus délicats, parce qu’ils apportent à leurs maîtres du blé volé dans les greniers d’autrui. — On dit que la manufacture des Gobelins à Paris doit son nom à quelques Ibllels qui, dans l’origine, venaient travailler avec les ouvriers et leur apprendre à faire de beaux tapis. C’est d’eux, ajoute-t-on, qu’on tient le secret des riches couleurs.

- Grossesse : On a cru longtemps à Paris qu’une femme enceinte qui se regarde dans un miroir croit voir le diable ; fable autorisée par la peur qu’eut de son ombre une femme grosse, dans le temps qu’elle s’y mirait, persuadée par son accoucheur qui lui dit qu’il était toujours dangereux de se regarder enceinte. On assure aussi qu’une femme grosse qui regarde un cadavre, aura un enfant pâle et livide.
Dans certains cantons du Brésil, aucun mari ne tue d’animal pendant la grossesse de sa femme, dans l’opinion que le fruit qu’elle porte s’en ressentirait. On ignore encore le motif pour lequel quelques églises particulières refusèrent longtemps la sépulture aux femmes qui mouraient, enceintes, c’était sons doute pour engager les femmes à redoubler de soins envers leurs enfants ? Un concile tenu à Rouen on 1074, a ordonné que la sépulture, en terre sainte, ne fût nulle part refusée aux femmes enceintes ou mortes pendant l’accouchement.

- Hélias : « Apparition admirable et prodigieuse arrivée à Jean Hélias, le premier jour de l’an 1623, au faubourg Saint-Germain, Paris. » C’est un gentilhomme qui conte : « Étant allé le dimanche, premier jour de l’année 1623, sur les quatre heures après midi, à Notre-Dame, pour parler à M. le grand-pénitencier sur la conversion de Jean Hélias, mon laquais, ayant décidé d’une heure pour le faire instruire, parce qu’il quittait son hérésie pour embrasser la vraie religion, je m’en fus passer le reste du jour chez M. de Sainte-Foy, docteur en Sorbonne, et me retirai sur les six heures. Lorsque je rentrai, j’appelai mon laquais avant de monter dans ma chambre ; il ne me répondit point. Je demandai s’il n’était pas à l’écurie ; on ne m’en sut rien dire, je montai, éclairé d’une servante ; je trouvai les deux portes fermées, les clefs sur les serrures. En entrant dans la première chambre j’appelai encore mon laquais, qui ne répondit point ; je le trouvai couché auprès du feu, la tête appuyée contre la muraille, les yeux et la bouche ouverts ; je crus qu’il avait du vin dans la tête et le poussant du pied, je lui dis : « Levez-vous, ivrogne ! » — Lui, tournant les yeux sur moi : « Monsieur, me dit-il, je suis perdu, je suis mort, le diable tout à l’heure voulait, m’emporter. » Il poursuivit qu’étant entré dans la chambre, ayant fermé les portes sur lui et allumé le feu, il s’assit auprès, prit son chapelet de sa poche ; il vit tomber de la cheminée un gros charbon ardent entre les chenets ; aussitôt on lui dit : — Eh bien, vous voulez donc me quitter ? Croyant d’abord que c’était moi qui parlais, il répondit : — Pardonnez-moi, monsieur, qui vous a dit cela ? — Je l’ai bien vu, dit le diable, vous êtes allé allé à l’église. Pourquoi voulez-vous me quitter ? je suis bon maître ; tenez, voilà de l’argent : prenez-en tant qu’il vous plaira. — Je n’en veux point, répondit Hélias. Le diable voyant qu’il refusait son argent, voulut lui faire donner son chapelet — Donnez-moi ces grains que vous avez dans la poche, dit-il, ou bien jetez-les au feu. — Mon laquais répondit : Dieu ne commande point cela, je ne veux pas vous obéir. Alors le diable se montra à lui, et voyant qu’il était tout noir, Hélias lui dit : vous n’êtes pas mon maître, car il porte une fraise blanche, et du clinquant à ses habits. Au même instant, il fil le signe de la croix et le diable incontinent disparut. »

- Lampe merveilleuse : Il y avait à Paris, du temps de saint Louis, un rabbin fameux, nommé Jéchiel, grand faiseur de prodiges, et si habile à fasciner les yeux par les illusions de la magie ou de la physique, que les Juifs le regardaient comme un de leurs saints, et les Parisiens comme un sorcier. La nuit, quand tout le monde était couché, il travaillait à la clarté d’une lampe merveilleuse, qui répandait dans sa chambre une lumière aussi pure que celle du jour. Il n’y mettait point d’huile ; elle éclairait continuellement, sans jamais s’éteindre, et sans avoir besoin d’aucun aliment. On disait que le diable entretenait celle lampe, et venait passer la nuit avec Jéchiel. Aussi tous les passants heurtaient à sa porte pour l’interrompre. Quand des seigneurs ou d’honnêtes gens frappaient, la lampe jetait une lueur éclatante, et le rabbin allait ouvrir ; mais toutes les fois que des importuns faisaient du bruit pour le troubler dans son travail, la lampe pâlissait ; le rabbin, averti, donnait un coup de marteau sur un grand clou fiché au milieu de la chambre ; aussitôt la terre s’entr’ouvrait et engloutissait les mauvais plaisants. Les miracles de la lampe inextinguible étonnaient tout Paris. Saint Louis, en ayant entendu parler, fil venir Jéchiel, afin de le voir ; il fut content, disent les Juifs, de la science étonnante de ce rabbin.

- Maison ensorcelée : A la fin de nivôse, an 13 (1805), il s’est passé à Paris, rue Notre-Dame-de-Nazareth, dans une ancienne maison de religieuses Cordelières, une scène qui fit quelque bruit. On vit tout à coup voler en l’air des bouteilles, depuis la cave jusqu’au grenier ; plusieurs personnes furent blessées, les débris de bouteilles restèrent entassés dans le jardin sans que la foule des curieux pût découvrir d’où provenait ce phénomène. On consulta des physiciens et des chimistes, ils ne purent pas même dire de quelle manufacture venaient les bouteilles qu’on leur montra. Les gens du peuple se persuadèrent qu’elles venaient de la manufacture du diable, et que cette aventure ne pouvait être que l’ouvrage des sorciers ou des revenants ; les personnes plus instruites, tout aussi crédules, ne surent que penser. La police découvrit enfin que ces revenants n’étaient que des habitants de la maison voisine, aidés d’un physicien de leurs amis, qui au moyen de l’électricité, et d’un trou imperceptible pratiqué dans le mur, parvenaient à faire mouvoir à leur gré les meubles de la maison prétendue ensorcelée. Ils avaient pour objet d’empêcher le propriétaire de la vendre ; ils se vengeaient en même temps d’une personne dont ils croyaient avoir à se plaindre.

- Miroir : Lorsque François Ier faisait la guerre à Charles-Quint, on conte qu’un magicien apprenait aux Parisiens ce qui se passait à Milan, en écrivant sur un miroir les nouvelles de cette ville et l’exposant à la lune, de sorte que les Parisiens lisaient dans cet astre ce que portait le miroir. Ce secret est perdu comme tant d’autres.

- Mummol : En 578, Frédégonde perdit un de ses fils, qui mourut de la dysenterie. On accusa le général Mummol, qu’elle haïssait, de l’avoir fait périr par des charmes et des maléfices. Il avait eu l’imprudence de dire à quelques personnes qu’il connaissait une herbe d’une efficacité absolue contre la dysenterie. Il n’en fallut pas davantage pour qu’il fût soupçonné d’être sorcier. La reine fit arrêter plusieurs femmes de Paris, qui confessèrent qu’elles étaient sorcières, qu’elles avaient tué plusieurs personnes, que Mummol devait périr, et que le prince avait été sacrifié pour sauver Mummol. De ces sorcières, les unes furent brûlées, d’autres noyées ; quelques-unes expirèrent sur la roue. Après ces exécutions, Frédégonde partit pour Cornpiègne, et accusa Mummol auprès du roi. Ce prince le fit venir, on lui lia les mains derrière le dos ; on lui demanda quel maléfice il avait employé pour tuer le prince ; il ne voulut rien avouer de ce qu’avaient déposé les sorcières, mais il convint qu’il avait souvent charmé des onguents et des breuvages, pour gagner la faveur du roi et de la reine. Quand il fut retiré de la torture, il appela un sergent, et lui commanda d’aller dire au roi qu’il n’avait éprouvé aucun mal. Chilpéric, entendant ce rapport, s’écria : « Il faut vraiment qu’il soit sorcier, pour n’avoir pas souffert de la question... » En même temps il fil reprendre Mummol ; on l’appliqua de nouveau à la torture ; mais quand on se préparait à lui trancher la tête, la reine lui fit grâce de la vie, se contentant de prendre ses biens. On le plaça sur une charrette qui devait le conduire à Bordeaux, où il était né ; il ne devait point y mourir, tout son sang se perdit pendant la route, et il expira d’épuisement. On brûla tout ce qui avait appartenu au jeune prince, autant à cause des tristes souvenirs qui s’y attachaient que pour anéantir tout ce qui portait avec soi l’idée du sortilège.

- Prodige : Vers la fin du mois d’août 1682, on montrait à Charenton une fille qui vomissait des chenilles, des limaçons, des araignées et beaucoup d’autres insectes. Les docteurs de Paris étaient émerveillés. Le fait semblait constant. Ce n’était pas en secret, c’était devant des assemblées nombreuses que ces singuliers vomissements avaient lieu ; déjà on préparait, de toutes parts des dissertations pour expliquer ce phénomène, lorsque le lieutenant criminel entreprit de s’immiscer dans l’affaire. Il interrogea la maléficiée, lui fit peur du fouet et du carcan, et elle avoua que depuis sept ou huit mois elle s’était accoutumée à avaler des chenilles, des araignées et des insectes ; qu’elle désirait depuis longtemps avaler des crapauds, mais qu’elle n’avait pu s’en procurer d’assez petits. On a pu lire il y a vingt ans un fait pareil rapporté dans les journaux. Une femme vomissait des grenouilles et des crapauds ; un médecin peu crédule, appelé pour vérifier le fait, pressa de questions la malade, et parvint à lui faire avouer qu’elle avait eu recours à cette jonglerie pour gagner un peu d argent.

- Truie : Les juges laïcs de la prévôté de Paris, qui étaient très-ardents, firent brûler en 1466 Gillet-Soulart et sa truie, pauvre charlatan qui avait simplement appris à sa pauvre truie l’art de se redresser et de tenir une quenouille. On l’appelait la truie qui file, et une enseigne a conservé son souvenir. On voyait là une œuvre du diable. Mais il fallait qu’il y eût encore là dessous quelque horreur. — « Rien de plus simple, dit alors M. Victor Hugo (Notre-Dame de Paris), qu’un procès de sorcellerie intenté à un animal. On trouve dans les comptes de la prévôté pour 1466 un curieux détail des frais du procès de Gillet-Soulart et de, sa truie, exécutés pour leurs démérites à Corbeil. Tout y est, le coût des fosses pour mettre la truie, les cinq cotrets pris sur le port de Morsant, les trois pintes de vins et le pain, dernier repas du patient, fraternellement partagé par le bourreau, jusqu’aux onze jours de garde et de nourriture de la truie, à huit deniers parisis chaque. »

- Vauvert : Saint Louis, ayant fait venir des chartreux à Paris, leur donna une habitation au faubourg Saint-Jacques, dans le voisinage du château de Vauvert, vieux manoir bâti par le roi Robert, mais depuis longtemps inhabité, parce qu’il était infesté de démons (qui étaient peut-être des faux-monnayeurs). On y entendait, des hurlements affreux ; on y voyait des spectres traînant des chaînes,