La crotte de chien dans l’industrie – 1878
De la Noël au jour de l’an, Paris n’a plus sa physionomie habituelle. Ses boulevards et ses principales artères sont encombrés de baraques d’où regorgent, comme de la corne d’Amalthée, toutes sortes d’objets d’étrennes. Les magasins ont des étalages splendides ; tout reluit derrière les vitrines : les bijoux étincellent, les couleurs éclatent, les pantins empanachés et couverts de paillettes, tendent les bras aux enfants éblouis. Sur la chaussée, les voitures roulent sans cesse : elles se touchent toutes et vont au petit trot, souvent au pas, pour éviter les accidents. Sur le trottoir, la foule devient cohue ; la mer humaine entrechoque ses flots avec un grand murmure ; on se bouscule beaucoup plus qu’on ne marche entre la Madeleine et la Bastille ; on est dix dans un mètre cube d’air.
Dieu ! que de jolis riens dans les bazars et les boutiques en plein vent ! que de futilités originales et gracieuses ! que de merveilles lilliputiennes faites avec des matières ramassées sur des tas d’ordures : boîtes à sardines, copeaux, déchets de toute espèce !
Les marchands se démènent et s’égosillent.
— Demandez le bonhomme pneumatique ! — Demandez la fée au papillon ! Voyez le tambour orchestre ! la sultane favorite ! le danseur de corde ! — Admirez les meubles de poupée : jardinières, armoires à glace, tables à rallonges taillées dans des caisses à cigares !
Les bambins regardent, la face épanouie, les yeux pétillants de convoitise, toutes ces délicates miniatures, toutes ces fantaisies charmantes ; et les personnes âgées elles-mêmes se promènent avec plaisir dans cette Kermesse enfantine.
Près des babioles, voici les étrennes utiles.
Oh ! les mignonnes chaussures posées sur des lames de cristal ! Que le pied de nos élégantes doit être à l’aise dans ce cuir fin et souple comme la peau d’un gant ! Quelle exquise cambrure ! quelle forme artistique ! Et dire que ces bijoux, quand ils foulent sans pitié, font plus de mal que les souliers ferrés d’un porteur d’eau !...
Oh ! la belle exposition de cuir de Russie ! Oh ! les superbes calepins, les magnifiques étuis à cigarettes, les somptueux albums, les adorables carnets ! Quel bonheur de les mettre sur sa table ou dans sa poche ! Comme tout cela est coquet ! comme tout cela sent bon !...
La foule s’extasie en circulant à travers cette immense foire et s’écoule, sans cesse renouvelée, toujours houleuse.