La mère Pepin – Gazette des Tribunaux – 1833
« Ma foi, mon juge, c’était un soir, sur le coup d’onze heures : faute de chalands j’allais fermer boutique, lorsque c’te jeunesse, que vous voyez là sur son banc avec son air de sainte nitouche, entra soi-disant pour m’acheter des prunes : en voilà, que je lui dis, jeunesse, choisissez, mais des yeux, car c’te marchandise-là se regarde, mais ne se magne pas. — Ah ! ben non ! qu’elle me dit , j’aime mieux un hareng sauret. — En vlà, que je lui dis encore, et du fumé fameux ; donc elle prend un n’areng et me coule une pièce de cinq francs entre deux feuilles de chou, sur le comptoir, en me demandant que je lui rende. C’te jeunesse, qui ne me faisait pas l’effet d’avoir l’usage de ces pièces, et c’tte pièce qu’on me glisse pour payer un sou d’areng, tout ça me parait louche ; et puis, comme il ne faisait pas clair dans ma boutique, je siffle mon chien pour la garder tandis que je cours chez l’épicier du coin sous la frime de lui demander de la monnaie ; mais, de vrai, pour le consulter. L’épicier, qui a toujours beaucoup de lumière, regarde la pièce, et me dit en ricanant : Enfoncée la mère Pepin ! enfoncé, c’est de la fausse monnaie ! — Je m’en avais bien douté, là ; mais je voulais le savoir. — Je reprends mon n’areng, j’rends la pièce, et Je lendemain, sans rien dire, j’vais faire ma déclaration à l’autorité ; voilà. Quant à c’te jeunesse qui s’est fait pincer, tant pire pour elle, ça la regarde, mais je n’en aurai pas moins de reconnaissance pour M. l’épicier. »
Ainsi s’exprime la mère Pepin, colossale fruitière. La jeunesse, contre laquelle elle dépose, convaincue en effet d’avoir émis une fausse pièce de 5 fr., est condamnée à 30 fr. d’amende.
Gazette des cours d’assises et des tribunaux correctionnels. Journal des causes dramatiques et facétieuses - 1833