L’avocat, le vin et les voleurs – XVIIème siècle

Voici un trait d’un Avocat ; qui prouve que l’ivresse pouvait aussi avoir alors quelqu’avantage ; ne faisait-elle que sauver de la peur, et fournir des ressources, qu’on n’aurait pas trouvées dans un état de parfaite raison. Maître P... dans le siècle dernier, mêlait volontiers les plaisirs du cabaret avec les travaux du cabinet. Une fois qu’il s’était oublié avec un de ses amis et qu’il avait poussé la séance bien avant dans la nuit, en se retirant seul (son ami avait pris un autre chemin), il fut attaqué par quatre voleurs qui lui demandèrent la bourse ou la vie. Maitre P... leur représenta qu’ils s’adressaient mal, qu’il n’avait pas un sol, que son habit modeste et usé ne pouvait être que le partage d’un pauvre ; mais que tout ce qu’il leur pouvait offrir, était de les mener au cabaret où il avait du crédit. Les voleurs se sentirent de l’inclination pour cet Avocat, qui leur parut un galant homme : ils acceptèrent sa proposition. Il les mena au cabaret, d’où il sortait. Il but sur de nouveaux frais, et les charma par sa belle humeur. Il les pria ensuite de l’accompagner jusques chez lui, parce que je pourrais, leur dit-il, trouver des messieurs de votre confrérie, qui ne seraient pas aussi honnêtes gens que vous, et qui me dévaliseraient sans façon, quoique ma dépouille ne soit pas de bonne prise. Les voleurs l’accompagnèrent de fort bon cœur, en lui donnant mille témoignages d’amitié. Quand il fut à sa porte, et qu’il eut heurté, sa femme alarmée, qui l’attendait avec impatience, vint lui ouvrir. Ma femme, lui dit-il, remerciez ces messieurs. J’ai eu l’honneur de leur compagnie qui m’a mis à l’abri d’être insulté. La femme les remercia. Ils se séparèrent, en assurant Maitre P... qu’il pouvait faire fonds sur leur amitié et il leur offrit son ministère pour le cas où ils en auraient besoin. Diogène à Paris - De rudes censures, des préceptes, des exemples, et des éloges d’hommes vertueux - 1787