Le bateleur de place – 1823

Sur le Pont-Neuf, entouré de badauds, Un charlatan criait à pleine tête : Venez, messieurs, accourez faire emplette D’un grand remède à tous les maux : C’est bien une poudre admirable Qui donne de l’esprit aux sots, La sagesse aux fripons, l’innocence aux coupables ; Aux vieilles femmes des amans, Aux vieillards amoureux une jeune maîtresse, Aux foux le prix de la sagesse, Et la science aux ignorans. Avec ma poudre il n’est rien dans la vie Dont bientôt on ne vienne à bout ; Par elle on obtient tout, on fait tout, on sait tout. C’est la grande Encyclopédie. Vite je m’approchai pour voir le beau trésor : C’ÉTAIT UN PEU DE POUDRE D’OR !... Apologue fort ingénieux de Florian, vous n’atteignez pas encore mon but ; et si je vous ai cité c’est pour faire goûter le charme de vos vers. Le bateleur de place d’aujourd’hui est un monsieur dans sa mise, quoiqu’il ne le soit pas du tout dans son langage ; des fautes grossières de français dècèlent de suite son defaut d’éducation. Il commence par disposer son petit théâtre qui est un tapis vert, une table sur quatre pieds en ciseaux, des gobelets de fer-blanc, le petit bâton de Jacob, une petite figure en bois, un jeu de cartes préparées, des boules de cuivre et quelques verres d’eau. Un niais à perruque rousse qui est son plastron mercenaire, est payé tant par jour pour recevoir maints soufflets et bourrades qui sont le vis comica de la pièce. C’est toujours un amalgame indécent de sales équivoques qui amusent le petit peuple, tout en ne laissant pas souvent d’arrêter les pas de l’homme distingué, lorsqu’au bout de quelques minutes de bavardage à la Bobèche, le cercle oblong se grossit de soldats, de servantes, d’oisifs et d’enfans ; notre escamoteur agrandit son cercle avec sa canne et prie une veste verte de rentrer un peu le ventre. Alors il procède à la partie de la gibecière, laisse émerveillé quelque paysan en tirant de son nez une pièce de cent sous, se perce, en apparence, le poignet d’une lame de couteau, fait maints tours d’adresse et quand il voit son public bien échauffé, c’est alors qu’il entame le chapitre délicat des pommades à détacher, poudres dentifrices, puis un taffetas merveilleux pour les cors aux pieds. Habile à fixer l’attention, il laissera toujours en suspens un tour (le plus merveilleux des tours !), afin de fixer un parterre volage qui s’échappe aussitôt que les boites à pommades s’ouvrent, dans la crainte de délier les cordons de la bourse. Notre charlatan a encore d’autres moyens : Sur l’habit d’un gobe-mouche, il s’étendra, en vantant avec éloquence les propriétés de son savon, un large calaplasme ; il le prie de rester là ; c’est déjà une dupe, il en fera autant sur le chapeau d’un Provincial, car il est excellent physionomiste. Il priera cet autre de lui prêter une pièce de cinq francs, celui-là sa montre, cette dame sa gibecière, à ce monsieur sa tabatière. Ainsi il enchaîne en quelque sorte des musards qui, sans s’en apercevoir sont obligés d’attendre que la toile tombe pour sortir de ce spectacle en plein vent, et sacrifient de grand cœur, pour recouvrer leur liberté, quelques sous qu’ils échangent contre une poudre inutile. Les petits paquets se distribuent, et le bateleur vous a fait vraiment des paquets. Au surplus il n’a pas manqué de vous dire « qu’il a eu l’honneur de travailler devant son excellence l’ambassadeur de Perse à Tivoli, et qu’il a la permission de Monsieur le Préfet, et vous confond par la volubilité d’un langage qui ne tarit pas, et est, en effet, le principal instrument de ses bénéfices. » Regardez le bateleur de place un instant, mais prenez bien garde qu’il ne vous fasse un cataplasme sur le pan de votre habit, et n’achetez point de poudre dentifrice car vous deviendrez la risée des gens au fait de ces petites espiègleries. Le petit Diable boiteux, ou Le guide anecdotique des étrangers à Paris - 1823