Me promenant de nuit dernièrement sur les bords du canal Saint-Denis, je fis cette remarque que ces parages sont hantés par des nuées de vagabonds et complètement dénués de surveillance.
Rien de plus facile que l’assassinat dans ces lieux déserts, surtout quand on connaît le procédé dont se servent les escarpes qui ornent les solitudes de La Villette.
Les cadavres retrouvés dans le canal portent rarement des traces de blessures ou de contusions.
Par là, les assassins ont une façon d’opérer qui ne manque pas d’ingéniosité.
Le réserviste que l’on vient de tirer de l’eau a probablement été la victime d’un attentat commis dans les conditions suivantes :
Supposons-le en état d’ébriété, ce qui est vraisemblable.
Il cherche son chemin et longe le canal. Tout à coup il est aveuglé, étourdi, chancelle, et tombe sans connaissance.
C’est qu’il vient d’être frappé avec la queue de morue.
La queue de morue n’est pas une image. C’est bien la queue du poisson sus-nommé. Elle est vidée préalablement de sa partie supérieure, et remplie de sable. La queue elle même forme comme la poignée de ce qui fit une espèce de massue.
L’effet du coup est immanquable. Là victime s’abat comme un bœuf. Fouillé et dévalisé pendant qu’il est couché sur le terrain, il n’a pas encore repris ses sens lorsque l’opération est terminée.
Mais avant d’être attaqué, il a pu voir, il pourra reconnaître.
Il est dangereux ; il devient donc urgent de s’en débarrasser.
Le canal est là à deux pas.
Si l’escarpe est seul, il est toujours assez vigoureux pour pousser dans l’eau un homme évanoui.
S’ils sont deux, l’un prend la tête, l’autre les pieds, et le tour est joué.
La queue de morue a cette inappréciable propriété de ne pas laisser de traces, ainsi que nous l’avons dit.
Le cadavre repêché paraît avoir séjourné dans l’eau.
Il appartenait au 25° régiment de chasseurs de Vincennes. Il n’a pas encore été reconnu.
Le Crime illustré : faits divers, finances, théâtre
Le réserviste du Canal St-Denis – 1881
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