Les anciens bals de Montmartre – 1922
Montmartre était plus riche en bals autrefois qu’il ne l’est aujourd’hui. Il est vrai que dans les restaurants de nuit de la place Pigalle, on danse autant qu’on boit. Les grands bals du quartier sont restés ; nous avons parlé de l’Élysée-Montmartre, de Tabarin et du Moulin de la Galette, le Moulin-Rouge rouvre ses portes et le Coliséum continue sa carrière assez terne.
Mais autrefois, il y avait bien d’autres bals que ceux-là. Il y avait la Boule Noire, à la place où est à présent la Cigale, au coin du boulevard Rochechouart et de la rue des Martyrs ; il y avait la Reine Blanche sur l’emplacement du Moulin-Rouge actuel. Nous avons parlé de ces bals dans un précédent ouvrage : Bals, Cafés, Cabarets. Il y avait le Bal Rochechouart au n° 11 du boulevard Rochechouart, à côté de la Gaîté Rochechouart actuelle.
Presque en face, au n° 56, au fond de l’impasse du Cadran, où est à présent le Palais-Ciné Rochechouart, était un établissement célèbre, les Folies-Robert dont le souvenir est transmis intact par une brochure qui lui est consacrée (Paris qui danse), petit ouvrage par Tony Fanfan pseudonyme de Antoine Watripont.
Ce bal de style mauresque se composait d’une grande salle avec des banquettes de chaque côté. Des allées latérales permettaient de circuler autour des quadrilles. Tout autour de la salle au-dessus des allées latérales, courait une galerie italienne ou orientale avec un balcon à jour surmonté de distance en distance par des attributs et des cartouches sur lesquels on lisait les noms des principales danses enseignées par Robert : Côté des Classiques : fricassée, roberka, polichinelle, gavotte, la meunière, la russe, écossaise ; quadrilles. Côté des Romantiques : valse, polka, redowa, schottisch, mazurka, varsoviana, hongroise, siciUenne orientale. En face de Torchestre était un balcon d’où l’on pouvait voir l’ensemble. Les lavabos éclairés par des quinquets à l’huile étaient tenus par le père Damp ; et le chef d’orchestre fut longtemps un jeune homme aux cheveux crépus, au visage rêveur, au corps maigre, Olivier Métra, qui devait céder son bâton à Jacquet pour aller diriger l’orchestre de Mabille.
Gilles Robert, patron du bal, était un homme toujours vêtu de noir qui était né le 6 janvier 1818. Il avait, comme on dit, la danse dans la peau. Il avait commencé par essayer bien des métiers : cordier, dessinateur de papier peint, cordonnier, menuisier, danseur enfin, ce qui lui permit, grâce aux Anglais, de gagner assez pour embellir son bal. Le public des Folies-Robert était moitié chair, moitié poisson. Les familles y venaient le dimanche, les autres jours régnaient des beautés locales telles que Chicardinette, Élisa Belles Jambes, le Bébé de Cherbourg, Bertha le Zouzou qui chantait des refrains de caserne et de marine, Jeanne d’Arc ainsi nommée parce qu’elle avait été brûlée par les Anglais, en ce temps-là en argot Anglais voulait dire créancier. Des journalistes, des écrivains venaient quelquefois assister à ces fêtes dansantes, et voir Robert prodiguer les conseils et les encouragements aux danseurs débutants.
Au n° 12 du boulevard Barbés, le Grand Turc attirait une clientèle turbulente et souvent étrangère : des Allemands, des Belges, des Italiens, avec bien entendu des filles de toutes ces nationalités. C’était dans une salle ronde comme celle d’un cirque, un bal tumultueux et assez crapuleux. L’entrée coûtait fr. 25, et les jours de semaine on avait droit gratuitement à une consommation de 20 centimes, ce qui mettait rentrée du bal à un sou. Il fallait pour arriver à la salle suivre un long couloir. Le samedi soir que de batailles on y livra ! Le concert de la Fourmi a remplacé le bal du Grand Turc.
A l’autre extrémité de Montmartre, près de la place Blanche, rue Coustou, une petite rue qui joint la rue Lepic au boulevard et qui est très mal fréquentée, des filles sont installées tout le jour durant à la porte des hôtels assez louches qui occupent à peu près toutes les maisons de la rue, était un bal musette d’une réputation déplorable et méritée. On s’y battait souvent, il y eut là des assassinats, des batailles. On finit par le fermer.
Ce qui est à présent la place Vintimille fut un établissement célèbre, le nouveau Tivoli.
L’ancien Tivoli était au coin de la rue de Clichy et de la rue Saint-Lazare, imaginé par Boudin, fanatique des jardins anglais.
Après la Révolution, cette propriété privée devint publique et fréquentée par la meilleure société et quand les jardins furent démolis, il s’en ouvrit d’autres du même genre en haut de la rue de Clichy, près du pavillon Laboutière, construction qui passait avec raison au XVIIIème siècle pour un chef-d’oeuvre du genre, Robertson ouvrit, le 14 mai 1826, le nouveau Tivoli qui eut une très grande vogue grâce aux attractions qu’il offrait aux visiteurs. C’est là que fut installé le tir aux pigeons, plaisir favori des gens à la mode jusqu’en 1841, date où le jardin démoli fut remplacé par les rues de Boulogne (Ballu), Calais et Vintimille avec un jardin au milieu de la place qui fut transformé en square public en 1859.
Tout à fait de l’autre côté de la Butte, chaussée Clignancourt, était le bal du Château-Rouge, bal célèbre, ouvert en 1845 et qui disparut lorsqu’on perça le boulevard Ornano.
Au n° 6 du boulevard de Clichy, à la place de la brasserie de l’Ermitage, fut un bal qui portait ce même nom, bal de barrière, très fréquentable, gloire de la Restauration, où l’on dansait au son d’un violon, d’une clarinette et d’un cornet à piston. Il disparut en 1862, quand on construisit là une maison de six étages. A côté était un bal musette célèbre chez les Auvergnats.
En haut de la Butte, un petit bal vécut quelque temps, le bal Roger, au coin de la rue du Rosier.
Par contre existe encore le Rocher Suisse ; mais il ne peut être véritablement compté parmi les bals, car on n’y danse que très irrégulièrement ; mais enfin on y danse. C’est un pittoresque curieux établissement qui fait le coin de la rue du Chevalier-de-la-Barre et de la rue Lamarck, tout près du Sacré-Coeur. On y donne des noces, des banquets, on y organise des fêtes.
Rue Girardon, on danse encore à la Feuillée de Montmartre, qui s’appelait autrefois le Petit Moulin-Rouge. C’était alors une sorte de hangar en charpente dont les murs étaient couverts de dessins au crayon, de croquis et de caricatures faites d’après les habitués. Il changea de propriétaire en 1886, on le mit aux enchères sur une mise à prix de 100 francs. Il n’est pas mort cependant, on y danse encore et très joyeusement. Signalons encore rue des Abbesses un petit bal musette très mal fréquenté.
André Warnod — Les bals de Paris — 1922
Tony Fanfan — Paris qui danse : études, types et moeurs — Le bal des Folies-Robert (contenant les Mémoires de Gilles Robert) — 1861
Sur ParisAvant.com :
La rue Girardon
L’Elysée Montmartre