« Jeudi, dimanche et jours de fête, prix d’entrée, pour un cavalier, 50 centimes ; entrée libre pour les dames ; l’orchestre sera dirigé par le célèbre Gratouillard ; une mise décente est de rigueur. »
À toutes les barrières, dans toutes les banlieues qui environnent ce pauvre Paris, qui n’en peut mais, vous rencontrerez, placardée aux murs, entre une annonce du docteur Charles Albert et une récompense honnête pour bouledogue perdu, celle affiche, entourée de fleurs, et peinte en couleurs choisies. Il est des farceurs, hors barrière comme ailleurs, qui y apportent diverses modifications, qui retranchent, ajoutent ou transposent, suivant l’exigence de leur imagination vagabonde. Ainsi, au lieu d’une mise décente, ils croient devoir mettre : « Une mise indécente est de rigueur, » comme si, en style de bal public, cela n’était pas sous-entendu ! Au lieu de : « Entrée libre pour les dames ». ils trouvent plaisant de faire lire aux promeneurs : « Entrée, pour les dames, libre. » Et mille autre tours encore que je ne saurais rapporter ici sans rougir, et que vous connaissez aussi bien que moi... peut-être mieux !
L’été, c’est chose curieuse à voir, lorsque la nuit descend lentement, imprégnée de parfums comme une lorette en quête d’un lord, que l’entrée de ces taudis, éclairée de mille verres de couleurs mal allumés, et précédée du municipal officiel.
Dés huit heures, l’orchestre, dirigé par le célèbre Gratouillard, est au grand complet. L’aveugle, employé aux contributions indirectes, et le pioupiou d’un régiment de ligne quelconque, ou, si vous aimez mieux, la clarinette, l’alto et la grosse caisse, se tiennent devant leur pupitre, sur lequel on a posé, les pieds en l’air, des pages grasses, tachées d’huile et barbouillées d’encre, qui représentent les mélodies en vogue arrangées par Gratouillard... toujours célèbre ! L’aveugle, par outrecuidance et aussi un peu par impossibilité, ne jette pas le moindre coup d’œil sur sa partition, dans laquelle, lorsque sa corvée musicale sera finie, il entortillera le montant de sa soirée, un pied de cochon avec de la gelée et trois tranches de cornichon ; car le maître du bal, partisan effréné du cumul, est en même temps gargotier ; il loge à pied et à cheval, donne à boire, à manger et à danser. Au lieu de payer en argent son orchestre, il le solde en nourriture et en liquide, pour prouver, une fois de plus, que dans l’état d’artiste il n’y a pas d’eau à boire. Aussi, lorsque les danseurs jugent à propos de filer, ce que les quinquets n’ont cessé de faire durant toute la soirée, les trois membres de l’orchestre, plus que jamais dirigé par son célèbre chef, toujours Gratouillard, se précipitent dans la cuisine, où le maître de l’établissement, qui vient d’ôter l’habit noir pour le tablier blanc, les attend déjà. Il déroule alors une pancarte sur laquelle est consignée la rétribution de chaque exécutant, suivant la valeur de la mélodie exécutée, et qui est réglée à peu près comme suit :
Une mélodie de Schubert : — une tranche de gigot, ou un plat de haricots, au choix ;
Un fragment d’un opéra d’Auber : — une purée de lentilles avec deux saucissons ;
Un fragment d’un opéra d’Halévy : — une purée de lentilles sans saucisses ;
Une polka sur des motifs de Rossini : — une tripe à la mode de Caen, ou du gras-double façon Montorgueil, au choix ;
Une rêverie de Massé : — un plat d’escargots au court-bouillon, ou des narines de veau à l’étuvée, au choix ;
Une redowa de Nargeot : — un chausson aux pommes et pruneaux ;
Une valse de Laurent de Rillé : — pruneaux et pommes sans pâté ;
Un quadrille de Pilodo : — un litre d’eau-de-vie.
Etc., etc., etc., etc.
Chacun fait sa part et se retire en emportant — qui dans sa poche, — qui dans son chapeau, — qui dans son mouchoir, les objets de consommation sus-énoncés, Gratouillard simple mortel après minuit, abuse de l’infirmité de la clarinette placée sous ses ordres pour lui jouer divers tours du plus mauvais goût. Souvent une discussion musicale s’élève entre eux : le pioupiou préfère Auber à Halévy, parce qu’Auber a fait la Muette et qu’il donne droit à deux saucisses ; l’aveugle, musicien dans l’âme, penche pour les haricots Schubert ; quant à Gratouillard, il s’écrie : Pilodo et l’alcool for ever !
Mabille et Musard fils sont les rois des bals publics. Là, le municipal est à cheval, les salons sont éclairés au gaz, les musiciens sont mis comme des ministres qui sont mis comme des musiciens, les dames sont réservées dans leurs danses, et les messieurs sont tous des fils de famille riches... mais honnêtes. Quant aux guinguettes où dansent les Auvergnats, aux bals publics des barrières où se vautrent des modèles des deux sexes, ce sont les bas fonds de la chorégraphie. On y fait le provincial et le mouchoir, la montre et le cœur. On y rencontre bien quelquefois, le dimanche, une grisette qui vient là, sans arrière-pensée, pour danser et boire : danser un cancan modeste et boire de la bière blanche. La légère sylphide est reconduite par un dieu qui aune du madapolam tant que dure la semaine ; mais ces couples-là sont rares, et ne doivent pas être confondus avec les habitués.
Je finirai cette crayonnade à la plume par une comédie lugubre qui m’a été contée, et qui a eu pour scène les établissements en question, et pour comédiens les habitués. C’était un dimanche ; la soirée était chaude et le bal était plein. A en juger par la pauvreté de l’orchestre, qui ne donnait signe de vie que par des couacs incommensurables, on pouvait dire que Gratouillard état là. Les danses, étaient un peu libres, car l’ivresse était presque générale ; on riait fort, mais de ces rires qui sonnent comme des sanglots. Un couple surtout se faisait remarquer par sa désinvolture : la danseuse était dés plus débraillées, et le danseur était aux trois quarts ivre. Le maître de l’établissement, quand minuit vint à sonner, voulut être payé de son vin et de ses danses ; le danseur ivre ne possédait plus un denier : aux demandes qu’on lui faisait, il répondait par des jurons et menaçait de pourfendre celui qui avancerai. Le municipal parvint toutefois à s’en emparer, et le gargotier prit son habit en payement, un bel habit noir. L’homme dépouillé était un croque-mort. Les jours suivants, on vit le maître se promener au milieu des danseurs aux folâtres ébats, grave et digne dans son nouvel habit. Un soir, un jeudi, je crois, il venait de terminer sa ronde, lorsqu’il tomba de tout son haut au milieu d’un quadrille. Le bonhomme fut relevé mort, mort d’une attaque d’apoplexie foudroyante. Le surlendemain, on vint tendre la maison de noir, et l’un des croque- morts chargé de clouer la bière eut soin, avant de procéder à ce triste exercice, de lui enlever son bel habit, qu’il vint rechercher le soir même : c’était le danseur ivre.
Maintenant, si vous aimez les bals publics, passez lestement cette boutade, relevez vos manches, et allez-y gaiement ; mais n’oubliez pas qu’une mise décente est de rigueur.
Eugène Furpille — Paris à vol de canard, impressions de voyage, dans les 13 arrondissements de la capitale, — 1857
Les Bals publics – 1857
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