Dans les circonstances ordinaires, le grand Châtelet n’était guère défendu que par les archers de la prévôté, avec de bien faibles moyens de résistance ; aussi, fut-il souvent envahi par les flots de l’insurrection populaire.
Guillaume de Nangis nous a conservé le souvenir de la prise du grand Châtelet par les pastoureaux, en 1320 :
« Tout à coup éclata, sans qu’on s’y attendît, un mouvement d’hommes impétueux comme un tourbillon de vent ; un ramas de paysans et d’hommes du commun, en grand nombre, se rassembla en un seul bataillon. Ils disaient qu’ils voulaient aller outre-mer combattre les ennemis de la foi, assurant que par eux serait conquise la terre sainte. Ils avaient, dans leur troupe, des chefs trompeurs, à savoir : un prêtre qui, à cause de ses méfaits, avait été dépouillé de son église, et un autre, moine apostat de l’ordre de Saint-Benoît.
Tous deux avaient tellement ensorcelé ces gens simples, qu’abandonnant leurs troupeaux dans les champs, ils couraient en foule après eux, sans argent et munis seulement d’une besace et d’un bâton ; enfin, ils se pressaient autour d’eux, en une telle affluence, qu’ils formèrent bientôt une grande armée. Ils employaient leur volonté et leur force, plutôt que la raison et l’équité. C’est pourquoi, si quelqu’un investi du pouvoir judiciaire voulait punir un d’entre eux, ils résistaient a main armée, ou, s’ils étaient détenus dans les prisons, ils en enfonçaient les portes.
Étant entrés dans le grand Châtelet, pour délivrer quelques-uns des leurs qui y étaient enfermés, ils écrasèrent sur les marches de cette prison le prévôt de Paris, qui voulait leur faire résistance, et, brisant les cachots où il détenait leurs amis, les en arrachèrent bon gré malgré. Tous les prisonniers profitèrent de cette circonstance pour recouvrer leur liberté ; la plupart s’enrôlèrent dans les bandes des pastoureaux, et augmentèrent tellement leur audace, qu’on les vit se ranger en bataille sur le Pré-aux-Clercs, et défier toutes les forces de la ville. L’autorité n’osa se commettre contre eux et les laissa librement gagner les champs.
Les pastoureaux s’acharnaient particulièrement contre les juifs, et par là s’assuraient l’approbation du clergé et du peuple ; ils égorgeaient impitoyablement les vieillards et les femmes, mais ils épargnaient les enfants, qu’ils faisaient baptiser aussitôt. »
Maurice Alhoy (1802-1856) - Louis Lurine (1810-1860) - Les prisons de Paris : histoire, types, moeurs, mystères - 1846
Les pastoureaux – 1320
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