Il fut autrefois un métier connu, mais qui aujourd’hui est bien ignoré, par la raison toute simple qu’il n’existe plus guère. Nous voulons parler des porteurs d’eau. C’était, comme on dit vulgairement, un métier de chien, bien que les chiens n’aient jamais, que nous sachions, approvisionné d’eau les ménages parisiens. D’abord, pourquoi dit-on « un métier de chien » ? Nous voudrions bien que le Courrier de Vaugelas, ou l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, nous renseignât sur ce point ; car les chiens n’ont, en général, pas exercé un travail proprement dit.
Bref, les porteurs d’eau, tous Auvergnats, étaient les gens qui traînaient dans les rues de Paris des grands tonneaux d’eau potable qu’ils vidaient dans des seaux et qu’ils montaient à tous les étages des maisons moyennant quinze ou vingt centimes par voie de deux seaux, selon la hauteur des logements. Le tonneau contenait au minimum 600 litres et le seau 20 litres, de sorte que 600 litres divisés par 20 donnent un quotient de 30 seaux, soit 15 voies d’eau, qui, multipliées par 20 centimes, produisent une somme de 3 francs. Chaque porteur écoulait en moyenne deux tonneaux et gagnait par conséquent 6 francs par jour. En ce temps-là, c’était une riche journée. La nourriture ne coûtait pas si cher que maintenant. Il y a de cela trente ans. Le porteur d’eau mettait de côté les deux tiers de son bénéfice, et quand son magot était suffisant, il achetait ou montait une maison de bois et charbon.
C’était le bon temps des Auvergnats et la prospérité des bals musettes, où l’on tapait du pied à casser les sabots en dansant la bourrée. Telle était la manière auvergnate de se dégourdir les jambes le soir après la journée de travail employée à monter les escaliers du rez-de-chaussée au sixième étage et à les descendre du sixième dans la rue. Tout ce monde était gai et toujours prêt, après la nuit de repos, à recommencer le lendemain l’exercice de la veille. Il semblait que tout dût continuer de la sorte, dans la tribu d’Auvergne, jusqu’à la consommation des siècles. Qui aurait cru qu’on pourrait un jour se passer du porteur d’eau ? C’est pourtant ce qui est arrivé, grâce à l’esprit remuant du préfet de la Seine Haussmann qui a fait démolir et reconstruire Paris dans ses principaux quartiers, et dont la manie a été imitée par ses successeurs, de telle sorte que, le savoir-faire professionnel des plombiers aidant, l’eau est montée toute seule dans les maisons neuves. Bien plus, les propriétaires des vieilles maisons furent obligés, à leur tour, sous peine de voir leurs locaux inhabités, d’introduire dans leurs immeubles des tuyaux de conduite remplissant aussi les fonctions séculaires du porteur d’eau. Alors les Auvergnats durent dire un éternel adieu à leurs tonneaux, et la jeune génération parisienne ignore les beaux jours du portage de l’eau, les intrigues amoureuses des fils de l’Auvergne avec les cordons plus ou moins bleus des cuisines de la capitale, dont ils étaient les auxiliaires indispensables. Bien des rendez-vous aux bals musettes, fouchtra, ont été convenus entre la livraison de deux voies d’eau.
Il en est resté cependant un certain nombre, qui exercent leur profession dans les quartiers excentriques et dans quelques vieilles maisons du Marais, où l’eau ne va pas encore à domicile. Ils sont tenus de présenter chaque année leur matériel roulant à la visite réglementaire qui a lieu à la Fourrière. Les tonneaux reconnus en bon état sont marqués d’une estampille de couleur rouge. Ceux qui, au contraire, ne réunissent pas toutes les conditions de salubrité exigée sont d’office mis hors de service.
Il y a dix ans on comptait encore dans Paris 1,172 tonneaux de porteurs d’eau. Ce nombre est allé en diminuant d’année en année, et aujourd’hui ce matériel, qui a servi à faire la fortune de bon nombre d’Auvergnats, ne comprend plus guère qu’une centaine de tonneaux.
Dans dix ans, si la Seine ne tarit pas, les maisons de Paris seront toutes pourvues d’eau à tous leurs étages, et le dernier tonneau vert aura disparu.
Voilà pourquoi nous classons ici ce qui restait de ce travail naguère florissant et qui sera bientôt un métier rétrospectif. Mais les Auvergnats ne sont pas gens à rester les deux pieds dans un sabot, vougrrri. Un métier perdu, deux de retrouvés. Ils se sont mis marchands de tonneaux ; ils ont adjoint des débits de vins à leur débit de charbon de bois ; ils ont mis la main sur les boutiques de fruitiers ; ils sont devenus marchands de beurre, œufs, fromages de la Limagne d’Auvergne, et ils parviennent presque tous, par leur activité et leur esprit commercial, à réaliser des économies où d’autres mangeraient de l’argent.
Les débutants se mettent frotteurs d’appartements ; pour faire ce métier, il n’y a besoin d’avoir que de bons jarrets. Il ne faut ni matériel, ni apprentissage. Dans le frottage, les Auvergnats ont comme concurrents les Savoyards. Mais, de même que le soleil luit pour tout le monde, il y a des parquets pour occuper les enfants de l’Auvergne et ceux de la Savoie. Cela leur permet de renouer avec les bonnes traditions galantes qui avaient été interrompues, ou tout au moins considérablement réduites par la suppression du portage de l’eau.
Les repasseurs de couteaux et de ciseaux, sont aussi des Auvergnats.
Tourne ma meule,
Tourne avec ardeur,
Car je dois à toi seule,
Tous mes jours de bonheur.
On peut dire qu’ils font profit de tous les petits métiers dédaignés par les Parisiens et les autres habitants de Paris venus de tous les points de la France.
En somme, malgré la disparition des porteurs d’eau, l’on peut dire quand même :
Vive les Jouvergnats ! You !
La Bohème du travail par Joseph Barberet - 1889
Les porteurs d’eau
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