Mystérieuse évasion à Saint-Lazare – 1872

Comment peut-on penser s’évader de Saint-Lazare quand on voit les multiples portes verrouillées qu’il faudrait franchir, ainsi que les longs couloirs et les cours nombreuses : cela paraît impossible. Et pourtant, on cite plusieurs évasions, dont une restée célèbre, qui date de 1872. Un journal l’a appelée la mystérieuse évasion. Une Anglaise, Miss Kate P..., fut condamnée à six mois de prison pour complicité de vol effectué chez un bijoutier du Palais-Royal. Sa conduite fut exemplaire à Saint-Lazare, où elle s’attira toutes les sympathies. En qualité d’étrangère, elle fut expulsée de France en vertu de la loi du 3 Décembre 1849 et reconduite dans son pays. L’année suivante, en 1873, elle revint en France, s’y fit condamner à nouveau pour vol, et en même temps pour infraction à l’arrêté d’expulsion la concernant. Elle revint à Saint-Lazare enceinte, y accoucha, et à cause de son enfant y fut maintenue, quoique condamnée aux travaux forcés. Évasion de La Valette de la Conciergerie Le petit était très chétif et ne paraissait pas devoir vivre. Or, à la mort de cet enfant, c’était le départ de sa mère pour la maison centrale. Un jour, vers heures de l’après- midi, on s’aperçut que la jeune femme avait disparu. La prison fut fouillée de fond en comble. Dans un coffre en bois, on finit par découvrir jetés pèle-mêle, les vêtements de Kate. Elle avait donc changé de costume et s’était évadée, malgré les innombrables portes, les grilles, les chemins de ronde, les gardiens. Cela paraissait invraisemblable. Le guichetier de la porte d’entrée, interrogé, déclara qu’il n’avait ouvert qu’à une religieuse qui était sortie timidement, les yeux baissés. C’était Kate P. On fit une enquête approfondie, et l’on se rappela seulement que, le jour même, trois Anglais, deux hommes et une femme, étaient venus, munis d’une autorisation régulière, visiter la prison. Ils avaient traversé la pièce dans laquelle se trouvait Kate. Le gardien qui les accompagnait affirma plus tard qu’ils avaient échangé un regard d’intelligence avec la prisonnière. Ce fut tout. Il fut impossible d’établir une complicité quelconque, et cette évasion resta mystérieuse.
Elle se raconte encore à Saint-Lazare, aux nouvelles venues, par celles qui prennent en quelque sorte leurs invalides dans la maison : on sait qu’il y a des femmes qui n’en sortent que pour y rentrer. En 1879, Saint Lazare servait d’asile à une femme que l’on appelait la doyenne ; elle était-presque centenaire et avait été arrêtée cent dix-huit fois. Ses compagnes l’appelaient aussi par dérision : la maîtresse de Marat. Cela la fâchait et elle parlait du beau Barras. Une autre détenue, morte il y a quelques années, datait du 9 Thermidor an X. Pour nous, disent ces malheureuses, Saint-Lazare, c’est notre maison de campagne. Elles seront probablement les seules à regretter sa disparition. Eugène Pottet - Histoire de Saint-Lazare (1122-1912) - 1912 - Disponible sur Gallica