Reigles, Statuts et Ordonnances de la Caballe des filous reformez depuis huict jours dans Paris, ensemble leur Police, Estat, Gouvernement, et le moyen de les cognoistre d’une lieue loing sans lunettes.
Athenée, le plus falot des hommes après Lucian, dit que de son temps tous les filous, tire-laines, coupeurs de bourses, destrousseurs de passans, et autre telle canaille qui ayment autant le bien d’autruy que le leur, avoient accoustumé de s’assembler à Rome aux Ides de juin, et illec donner ordre au gouvernement et estat de leurs affaires, recevoir les plaintes, punir les delinquans, c’est-à-dire ceux qui laissoient leurs oreilles en chemin ou se laissoient espousseter par le bourreau.
Il semble que tous les frères de la Samaritaine [1], soldats de la courte espée et gens de telle farine, ayent leu ce passage et en ayent voulu renouveller la coustume : car jeudi dernier, sur les onze heures du soir, ils s’assemblèrent sur le pont Neuf, du costé de l’escolle, et, comme chats-huants taciturnes, vindrent à tastons de toutes parts, pour deliberer de leurs affaires et apporter un nouveau reglement à l’entretien de leur chetive, pauvre et miserable vie.
Fouille-Poche, general de l’assemblée, oncle en dernier ressort de Carfour [2] et proche parent du petit Jacques, comme ayant le plus d’interest en la conservation de son ancien droit, qui est de prendre ce qu’il rencontre, s’y trouva le premier ; et pour son siége plia trois ou quatre manteaux en quatre, qu’il venoit de desrober, et qu’il portoit vendre au frippier Gueulle-Noire [3], maistre recelleur des halles ; et, après avoir longtemps attendu ses camarades, voyant que minuit s’approchoit, il commença ainsi : « Mes confrères, il est à-propos de faire un bon reglement pour l’etablissement de nos affaires ; je voy que de jour à jour nostre nombre diminue, et que le plus souvent les nouveaux receus, pour ne sçavoir l’art de la vollerie, sont troussez en malle [4], et sont conduits à Mon-faucon, pour là faire la sentinelle et faire des cabriolles en l’air. Je suis d’advis, pourveu que me prestiez l’espaule, de nous exempter de cet affront, et laisser, si nous pouvons, les eschelles en leurs places, sans aller attaquer ou prendre le ciel par escalade. » Tous les coupeurs de bourses, grands et petits, trouvèrent l’advis très bon et approuvèrent son conseil, desirans infiniment d’estre exempts d’un tas de coups de baston qui greslent quelquefois sur leurs espaules.
« Premierement, dit-il (ce qui est bien difficile à faire), il faudroit que nous puissions faire revivre le legislateur Lycurgue, afin de persuader aux François que le larcin est une très bonne chose, et qu’on le doit permettre pour deniaiser le monde ; toutesfois, puisque les machoires luy sont tombées, et que le pauvre hère ne peut plus parler, je feray mes ordonnances au mieux qu’il me sera possible. »